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Restitution d’œuvres d’art : entre dialogue de sourds et chimères

Le 23 novembre 2018, deux universitaires renommés, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, ont remis à Emmanuel Macron un rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Ce rapport préconise la restitution des quelques dizaines de milliers d’œuvres d’art aux pays de l’Afrique subsaharienne. Depuis lors, les demandes de gouvernements étrangers concernant des œuvres provenant de leur patrimoine culturel et acquis, ou spolié, par la France affluent. Pour rappel, Emmanuel Macron, en visite officielle à Ouagadougou (Burkina Faso) en 2017, avait fait la plus ambitieuse des promesses : « Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. » Alors, promesse en l’air, utopie, ou simple coup de poing médiatique ?



La question de la restitution des œuvres d’art étrangères est étudiée depuis deux ans, et pourtant, rien n’a encore bougé. Le Bénin attend depuis 2016 que les vingt-six œuvres promises par le Musée du Quai-Branly lui soient rendues. Ce musée parisien consacré aux arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques, est tout particulièrement la cible de ces demandes de restitution d’œuvres d’art. Dernièrement, c’est la statue du Dieu Gou, exposée depuis plus d’un siècle au Louvre et l’une des œuvres emblématique du musée, qui est au cœur d’un débat entre les autorités béninoises et françaises.



©musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / Hughes Dubois

Juridiquement, la restitution des œuvres d’art pose un problème majeur : si un Etat échoue à demander par la voie diplomatique la restitution d’une œuvre, il doit soumettre sa demande aux exigences du droit national du pays spoliateur. Puisqu’il n’existe aucune norme de droit international qui harmonise les législations nationales, des divergences d’interprétation et de régimes juridiques viennent complexifier incommensurablement une telle demande. En France, les collections labellisées « Musées de France » appartiennent au domaine public. Or les principes d’inaliénabilité et l’imprescribilité empêchent qu’un bien du domaine public soit cédé ou commercialisé, à la différence du domaine privé. Argument fort des musées nationaux, ces principes de droit public font pourtant l’objet d’un débat pour les faire évoluer dans un sens qui permettrait de mettre fin à ces impasses juridiques.

C’est alors que le droit international rentre en jeu. Si aucune norme n’est parvenue à harmoniser la matière, plusieurs conventions tentent, tant bien que mal, de remédier à cette question qui touche intimement à une question de souveraineté de l’Etat. La convention UNIDROIT de 1995 semble être la mieux parée pour guider la restitution des œuvres d’art à un Etat spolié. Elle distingue ainsi deux procédures, en fonction du mode d’acquisition de l’œuvre en question : si elle a été volée, alors toute action en restitution concernant un bien culturel « faisant partie intégrante d’un monument ou d’un site archéologique identifies, ou faisant partie d’une collection publique » est imprescriptible. Ce qui n’est pas le cas pour les biens illicitement exportés du territoire : l’Etat dont provient l’œuvre ne pourra obtenir la restitution que si une atteinte a été portée à l’un des intérêts listés dans la convention (« la conservation matérielle du bien ou de son contexte, la conservation de l’information, l’usage traditionnel ou rituel du bien, enfin, l’intégrité́ du bien »). De plus, l’action est limitée dans le temps. Un arbitrage entre les pays concernés semble alors l’issue la plus probable pour la plupart des revendications.

Mais derrière ces questions juridiques, d’autres problématiques inquiètent d’autant plus les conservateurs de musées et historiens de l’art : la conservation et la protection des œuvres après leur restitution, ainsi que leur mise à disposition du public. Pour le conseil international des musées, l’ICOM, un pays à l’origine d’une demande de restitution doit remplir certaines exigences, sans pour autant que cela puisse justifier le refus d’une restitution. Cependant la construction des infrastructures nécessaires et la formation d’experts et de personnels spécialisés seront mises en place le cas échéant. Si l’inquiétude est légitime pour les musée occidentaux, compte tenu des récentes et tragiques destructions de sites archéologiques par des groupes radicaux, cet argument est réfuté par Marie-Cécile Zinsou, une franc-béninoise et créatrice de la Fondation Zinsou, musée d’art contemporain au Bénin. « On ne peut pas nous dire : “On ne vous rendra que si vous êtes à même de vous en occuper” ! La restitution poussera les Etats à créer des musées et à les rendre accessibles. » revendique-t-elle dans une interview du Monde, le jour de la publication du rapport Sarr-Savoy. Plus qu’une question de patrimoine culturel, c’est une véritable question de « dignité ! ».


Musée de Ouidah, Fondation Zinsou ©Jean-Dominique Burton



Marie Cécile Zinsou, ©Yanick Folly

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Le rapport Sarr Savoye, aussi bien intentionné qu’il soit, est loin de faire l’unanimité auprès de musées français. Pour Stéphane Martin, ancien président du Musée du Quai-Branly, « ce rapport est un cri de haine contre le concept même de musée, considéré comme une invention occidentale, comme un lieu quasi criminel dans lequel les objets sont plumés, déshabillés, où on leur retire leur magie » (interview par la commission culturelle du Sénat en février 2020).


En définitif, l’interrogation qui subsiste encore, malgré les négociations entre la France et les pays spoliés, est qui est le légitime héritier d'une œuvre d'art ? Ne pourrait-on pas considérer que l'art revêt une forme d'universalité.


Sixtine Clément de Givry - Oeil d'Assas

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