Le début du XXème siècle a vu fleurir l’Art nouveau, un mouvement artistique qui, s’il s’affirme comme un art total, s’est étendu bien en dehors des frontières où il a vu le jour. Le mouvement que l’on connaît sous le nom d’Art nouveau a fait le tour du monde en revêtant différentes appellations, mais des caractéristiques stylistiques très similaires témoignant d’une part de son esthétique appréciée mais aussi de son caractère universel.
Art nouveau en France et en Belgique, Nieuwe Kunst aux Pays-Bas, Jugendstill en Allemagne, Sezessionsstil en Autriche, Modernismo catalan en Espagne, Arts and Crafts en Angleterre et Tiffany Art aux États-Unis, le mouvement fait véritablement le tour du monde et connaît des manifestations diverses, à travers architecture, mobilier et ornement.
En Espagne, Art nouveau, ou Modernismo Catalan, rime avec Antoni Gaudí. Chef de file du mouvement, il est à l’origine d’une majeure partie des bâtiments et lieux du mouvement à Barcelone parmi lesquels la Casa Batlló, le Parc Guell ou encore la célèbre Sagrada Familia. À l’image des chefs de file précédents du mouvement, Gaudi place la nature au centre de sa réflexion architecturale et artistique.
Dans la Casa Batlló par exemple, les formes et les couleurs s’inspirent de la nature, de la forme des cheminées imitant celles de champignons, aux céramiques du bleu au vert dégradés de la façade rappelant les paysages marins. Dans tous les recoins de la maison, la lumière occupe une place forte. Au premier étage, la salle principale est pourvue de grandes fenêtres ornées de vitraux dans les teintes bleutées sur le haut et encadrées de colonnes aux formes courbes permettant une grande luminosité et mettant en valeur les ornements de la pièce. La forme ondulée du plafond épouse la lumière émise par le lustre central tout en recréant l’énergie de la rencontre entre le soleil et une mer calme, offrant au visiteur une vision presque immergée de la salle.
Au centre de la maison, l’architecte a conçu un puit de lumière alimenté par la lumière du jour grâce à une baie vitrée placée en son sommet, se déployant sur tous les étages de la maison et décoré de carreaux dans les tons bleutés, de plus en plus clairs vers le bas et des fenêtres de plus en plus étroites vers le haut, permettant une répartition uniforme de la lumière. Finalement, la toiture de la maison prend l’apparence du dos d’un dragon aux écailles colorées, confirmant encore la place centrale de la nature et de ce qu’elle peut cacher. Omniprésence de la lumière, choix des couleurs et courbes végétales, la Casa Batllo s’affirme comme le chef d’œuvre d’un Art nouveau approprié par Gaudí à son pays.
En Autriche, l’Art nouveau, Sezessionsstil, a trouvé son expression à travers le travail de l’architecte Joseph Maria Olbrich avec le Palais de la Sécession. Le succès du mouvement en Autriche est à l’initiative de certains artistes qui souhaitent s’émanciper du conformisme artistique dans lequel ils se sentent enfermés. Ainsi, ils expérimentent de nouveaux sujets, formes et courbes. On retrouve dans le Sezessionsstil quelques caractéristiques de l’Art nouveau, telles qu’une forte présence de motifs évoquant la nature dans tous ses éléments et la multiplication des supports.
L’édifice paraît au premier abord plutôt classique, sa façade n’arborant ni courbe ni couleur originale. Cependant, les nombreux détails dorés témoignent de son originalité et de l’expression de l’Art nouveau en Autriche. La façade du Palais est ornée en son centre d’un bas-relief floral doré duquel découlent des formes végétales. Le Palais est pourvu d’une coupole formée de l’assemblage de feuilles dorées permettant d’une part de placer la nature au centre de l’édifice, mais aussi de faire pénétrer la lumière à l’intérieur.
Finalement, le Palais, reflet de la pensée des artistes du mouvement à la fin du XIXème, prône une liberté artistique totale. Trois gorgones sont alignées au-dessus de la porte et elles sont respectivement les symboles de la peinture, de la sculpture et de l’architecture, témoignant ainsi du caractère total du mouvement, s’étendant à toutes les formes artistiques. Par ailleurs, la devise de ce que l’on a appelé la Sécession viennoise est inscrite sur la façade : « À chaque âge son art, à chaque art sa liberté », prônant une volonté d’émancipation de ces artistes à travers le Sezessionsstil.
Aux États-Unis, l’Art nouveau devient Tiffany Art, du nom de son chef de file Louis Confort Tiffany. Ce dernier explorera au cours de sa conquête artistique divers supports et matériaux tels que le vitrail, le bronze, la mosaïque, l’émail, les tissus, le bois sculpté, lui permettant ainsi de concevoir divers types d’objets, de la décoration au mobilier. Il a notamment conçu des lampes très originales, combinant bronze et vitrail, mobilier et art.
La lampe ci-contre reprend de nombreuses caractéristiques de l’Art nouveau, telle que l’habituelle présence de la nature. Ici, la lampe prend la forme d’un arbre, dont les racines se logent dans le socle et dont le tronc supporte le feuillage d’un arbre lumineux et coloré. Avec son travail du bronze, Tiffany fait apparaître dans l’armature de la lampe les nervures des racines et du tronc formées par la nature. Ce qui s’apparente ici à l’abat-jour a été travaillé sous forme de vitrail faisant apparaitre au gré des couleurs un feuillage divers, dont les branches apparaissant au sommet s’effacent et le laissent s’écouler. Le jeu de dégradé et l’usage de couleurs diverses telles que le jaune, le violet, le vert et leurs dégradés mêlent la forme naturelle et la volonté artistique de l’artiste. De plus, le choix de la technique du vitrail n’est pas anodin, il permet de satisfaire à la fois du point de vue artistique, ainsi que du point de vue fonctionnel de la lampe en émettant de la lumière. Ce jeu de lumière avec le vitrail est récurrent chez les travaux de Tiffany.
Ces différents exemples témoignent que l’Art nouveau a fait le tour du monde. Là où le mouvement s’est manifesté, chaque pays a su en tirer les caractéristiques principales et se les approprier selon le contexte politique, social ou artistique. Dès ses débuts, le mouvement prônait une liberté artistique, expliquant sa résonnance mondiale d’hier et d’aujourd’hui, et ayant permis d’atteindre une forme d’universalité dans des réalisations pourtant si diverses.
Eléonore Laederich
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