Portrait de la jeune fille en feu est un film réalisé par Céline Sciamma, sorti le 18 septembre dernier, qui raconte l’histoire d’une jeune femme peintre, Marianne, investie d’une mission en Bretagne, dans la France de la fin du XVIIIème siècle. Elle doit réaliser le portrait d’Héloise, une jeune fille noble sortie du couvent, qui est forcée de se marier. Toutefois, cette dernière refuse de poser car elle ne veut pas de ce mariage. Marianne, se faisant passer pour sa dame de compagnie, doit alors la peindre en secret.
Le film soulève des questions passionnantes notamment sur la conception d’un portrait en peinture. En effet, est-ce que le modèle n’est qu’un objet inerte qui pose devant l'artiste, ou contribue t-il lui aussi à la conception de l’oeuvre d’art, même s’il n’est pas devant le chevalet? Souvent les femmes qui posent pour les artistes sont associées à la figure de la muse, cependant, ce terme est problématique car il tend à les fétichiser et à les réduire au statut d’objet. Ici, le film montre bien que le modèle est tout autant investi dans la création artistique que la peintre : il devient collaborateur. En effet, les deux protagonistes ne cessent de s’échanger de longs regards et quand la peintre prend conscience du regard que pose Heloise sur elle, alors elle se met à peindre avec une plus grande sincérité et s’émancipe de conventions artistiques qui n’étaient pas les siennes. À travers le regard d’Héloïse, elle accède à l’intériorité de son modèle et donne alors du relief et de la profondeur à son portrait.
Héloise (Adèle Haenel) ; Marianne (Noémie Merlant)
Ensuite, le film est d’autant plus intéressant qu’il permet la réapparition des femmes dans l’Histoire de l’art, ces dernières étant sous-représentées dans notre culture picturale. En effet, le personnage de la portraitiste, Marianne, joué par Noémie Merlant, permet une redécouverte de ces femmes artistes qui, dans la France de la fin du XVIIIème, s’inscrivent dans un contexte exceptionnel, à savoir « la parenthèse enchantée » (Séverine Sofio, sociologue) de 1750 à 1850. Il est vrai que les femmes, depuis l’existence de la peinture, ont travaillé dans les ateliers, à la différence qu’ici, elles peignent en leur nom. En effet, cette période connait une féminisation « par le haut » de l’univers des beaux-arts que l’on observe à travers la promotion, dans les années 1780, des « dames-peintres » telles que Elisabeth Vigée-Lebrun et Adelaïde Labille-Guiard. De fait, en 1776, la corporation des peintres et sculpteurs est supprimée pour laisser place en 1777 à un nouveau statut, celui d’artiste libre, qui donne alors accès aux femmes au monde de l’art. Cette période inédite est très étonnante quand on observe que le progrès concernant le droit des femmes n’est pas linéaire. À la fin du XIXème siècle un relent conservateur s’impose avec l’idée que les femmes ne peuvent atteindre qu’ « un sublime féminin », qui serait restreint et médiocre par rapport au « sublime » des artistes masculins.
Vigée Le Brun. Portrait de la comtesse Skavronska. 1796. Louvre.
Enfin, j’ai été frappée par la beauté esthétique des plans. Il s’agit d’un film où l’on prend le temps de contempler les images de cinéma se confondre avec les toiles d’un tableau. On remarque dans chaque scène le soucis constant de beauté car la lumière semble émaner des actrices elles-mêmes et le décor, minimaliste et feutré, met en valeur la posture des corps. C’est un film riche et engagé qui possède de nombreux autres aspects, tels que l’amour, la musique, la tragédie etc… un film-peinture qu’il faut absolument aller voir!
Sara BALDEN.
Références:
Séverine Sofio. Artistes femmes. La parenthèse enchantée XVIIIe-XIXe siècles. CNRS éditions
. Émission France-culture. Peintres, sculptrices, copistes: qui sont les femmes artistes au XVIIIème siècle?
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