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L'Art Nouveau : Un activisme socialiste ?

Dernière mise à jour : 16 févr. 2020


Notre quotidien dans la capitale est constamment ponctué d’Art Nouveau, ne serait ce que par les entrées de métro Guimard, dont les plus imposantes sont celles de la Porte Dauphine et d’Abbesses. Elles nous replongent dans le Paris de la Belle Époque où l’Art Nouveau, véritable art de rue, engendrait de véritables explosions d’affiches et d’images aux couleurs éclatantes sur les kiosques ou dans le métro. Les artistes Art Nouveau comme Gallé, Grasset et Mucha rompent la rigueur de la ville en introduisant des lignes asymétriques et mouvementées qui se terminent en coup de fouet. Éblouis par la richesse du projet esthétique, on s’étonne de découvrir un projet politique fort qui s’inscrit dans les divisions et les tensions que traversent la société française à la fin du XIXème siècle.


Cet art n’évolue pas dans une sphère autonome et imperméable, mais au contraire, se nourrit des enjeux socio-économiques, politiques de la France de la Belle Époque. L’Ecole de Nancy, véritable vivier du mouvement, prend part, par exemple, à ce combat de deux mondes qu’est l’Affaire Dreyfus. Gallé, fondateur de l’Ecole et fervent dreyfusard, conçoit pour l’Exposition universelle de 1900, un four de verrerie, dit « four vengeur », dont l’iconographie compose une ode à la justice, aux valeurs de la République et proclame l’innocence de Dreyfus. On peut y lire une citation d’Hésiode : « Mais si les hommes sont méchants, faussaires et prévaricateurs, à moi les mauvais démons du feu! … Eclatent les vases, croule le four! Afin que tous apprennent à pratiquer la Justice. »


Toutefois, on peut se demander si l’Art Nouveau parvient réellement à infléchir la partie de l’opinion publique concernée par l’Affaire, vers le camp dreyfusard. Les artistes anti-dreyfusards font le choix stratégique d’user des supports immédiats qui touchent instantanément le spectateur comme l’affiche, la carte postale ou encore les chansons. Les dreyfusards, au contraire, font le pari de la mémoire en inscrivant leur engagement sur des supports qui durent dans le temps comme La Calomnie de Victor Prouvé ou le four Gallé dont l’ambition de la mise en scène contraste avec l’absence de réaction qu’elle a suscitée. Ainsi, ces oeuvres dreyfusardes sont passées sous silence dans les mémoires alors qu’on retient essentiellement aujourd’hui des productions comme la caricature de Caran d’Ache, la scène de la dégradation du capitaine ou encore le « J’accuse » de Zola, diffusées dans les journaux.


Plus fascinant encore, l’Art Nouveau s’imprègne des problématiques socio-économiques de la Belle Époque afin de mener un combat pour les idées socialistes. Gallé s’engage depuis son poste d’artiste à sensibiliser l’ensemble de la population à l’art, il applique ses recherches et ses techniques pour mettre en oeuvre dans son usine une production réellement industrielle qui donne naissance à des verreries, plus ou moins similaires, dénommées en France et à l’étranger « genre Gallé ». Son successeur, Victor Prouvé, est un fervent militant socialiste qui fonde la Maison du peuple et l’Université populaire destinée à l’éducation des travailleurs lorrains. Il dessine notamment le motif qui accompagne La Grève Générale, chanson écrite par son ami Charles Keller.

La question du coût de production des oeuvres est un paramètre dont se préoccupent les artistes Art Nouveau. En effet, conformément à la doctrine socialiste, leur but est de diffuser ces oeuvres à une large part de la population et notamment aux classes populaires. Pour cela, il faut leur en garantir l’accès économique. Ainsi, c’est en exaltant la machine, en produisant en grandes séries qu’il est possible de réduire les coûts de production. Selon Prouvé, la liaison entre l’Industrie et l’Art est nécessaire afin de réduire la disproportion qu’il existe entre la haute expression de l’art à l’usage d’une élite et la médiocrité des objets destinés à tous. Aussi, le Beau doit se mêler à l’utile afin d’encourager la consommation des objets d’art et ainsi les introduire dans les foyers les plus humbles. La doctrine de l’Art Social est alors intrinsèquement associé au projet esthétique de l’Art Nouveau. Lorsqu’il construit le Castel Béranger, Guimard ne perd pas de vue qu’il construit des appartements à loyers modérés en accordant une place restreinte à la pierre de taille, onéreuse, mais indispensable à la résistance de la structure.



Toutefois, cet activisme social est à prendre avec distance car il connait un échec relatif. Les artistes ne parviennent pas, notamment dans le domaine du logement social, à créer cet art démocratique car ils restent trop attachés à l’excellence du travail et à la qualité des matériaux, empêchant alors une baisse suffisante des coûts. Certains artistes comme l’architecte autrichien Otto Wagner continuent de produire la même oeuvre avec des matériaux plus ou moins nobles car il reste très attaché à la qualité. Toutefois, à travers cette démarche, il perpétue la hiérarchie sociale en distinguant les objets destinés à une élite et ceux dédiés à une population plus modeste. On peut alors déplorer cet activisme socialiste d’ordre idéologique, que seuls quelques artistes embrassent véritablement.



Sara BALDEN.

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