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L'Art Nouveau de Nancy à Bruxelles : Un art total ?

Dernière mise à jour : 15 juin 2023

En regardant autour de nous, on peut voir que l’Art Nouveau est encore très présent dans notre quotidien : dans la rue, sur les façades des immeubles, sur le mobilier urbain, dans les intérieurs, dans les cafés, dans la sphère privée, sur la vaisselle et sur le mobilier. Ce foisonnement d’objets dans le champ du quotidien permet de se pencher sur la manière dont l’Art Nouveau s’est affirmé comme « un art total » qui bouscule les frontières entre artiste et artisan, tout en s’affranchissant des délimitations entre les domaines artistiques.


La première Exposition Universelle de 1850 est le reflet d’un monde artistique qui se meut et qui évolue. Cet événement se veut également vitrine d’une époque qui parie sur les progrès techniques de l’industrie. Le Conte de Laborde écrit dans un Rapport sur l’exposition de Londres, publié en 1856, que « l’avenir des arts, des sciences et de l’industrie est dans leur association ». On voit éclore ici l’idée d’une collaboration entre les arts et l’industrie ; réflexion qui deviendra le fer de lance de l’Art Nouveau. Cette pensée incite à la création d’un art populaire et accessible qui s’adresse aux masses tout en alliant pragmatisme et esthétisme.


Les réflexions sur un art pratique et beau germent doucement de l’autre côté de la Manche chez les esthètes britanniques. Face aux paysages anglais déformés par la pollution et une industrie qui engendre la misère des ouvriers, s’impose un penseur, John Ruskin, ou plutôt, comme l’appelle Roger Henri Guérrand, le plus grand « propagandiste de la beauté qu’ait connu l’Angleterre ». Aux yeux de ce philanthrope, il est nécessaire de repenser la place du Beau au sein du quotidien, ainsi que notre rapport à la nature. Il encourage la formation d’un art qui rend heureux et procure une joie grâce à un embellissement de nos lieux de vie. Se dessine alors déjà dans ces premières pensées un des préceptes fondamentaux de l’Art Nouveau : faire de l’art un acteur du bonheur au sein de la vie quotidienne.


« Le seul art essentiel est celui qui pose sur la joue de l’homme

la rose de l’innocence et de la santé » John Ruskin


En cela, un véritable renouveau des arts décoratifs soutenu par une volonté de replacer le beau dans le quotidien voit le jour. Comme en attestent les productions, l’Art Nouveau concrétise cette pensée. De la verrière qui coiffe l’entrée de la Chambre de Commerce et d’Industrie de la ville de Nancy jusqu’aux façades ornées de mosaïque et de sgraffiti des bâtiments bruxellois dessinés par Paul Hankar, l’Art Nouveau interroge le concept de l’habitat et la notion d’« habiter ». Dans le café de l’Excelsior à Nancy, les clients peuvent manger sous la lumière chaude et colorée des luminaires signés par Émile Gallé. La pâte de verre travaillée dans les ateliers Gallé prend vie au-dessus des tables dans un décors foisonnant. L’allure végétale des lustres se complait dans un espace organique aux formes anguleuses. On voit ici la manifestation d’un art qui se fond dans le quotidien dans tout ce qu’il a de plus trivial pour tenter de le magnifier.



La concrétisation des ambitions de l’Art Nouveau se traduit par un retour aux matières naturelles, sans pour autant nier les progrès industriels et techniques de l’époque. Le défi qui se pose aux artistes est de parvenir à unir les différents matériaux pour qu’ils ne fassent qu’un au sein d’un même décor. On assiste à une sublimation des matériaux qui sont assumés et considérés pour ce qu’ils sont. En cela, le métal n’est plus totalement dissimulé derrière une lourde épaisseur de pierre de taille, il est montré comme s’unissant avec les autres matériaux sur la façade de la maison Horta à Bruxelles. Cette volonté de revenir vers des matériaux saisis pour ce qu’ils sont se reflète dans l’Exposition de l’École de Nancy, organisée par l’Union centrale des artistes lorrains en 1884, qui s’intitule « La Terre, la pierre et le verre ». En posant la question du travail de la matière dans son état premier, il semble que l’Art Nouveau gomme cette frontière entre l’artiste et l’artisan dans la mesure où la compétence acquise de l’artisan se confond avec le génie créateur de l’artiste pour faire de l’objet travaillé quelque chose d’unique. La villa Majorelle, vitrine des ateliers d’ébénisterie de Louis Majorelle, incarne cette spécificité de l’Art Nouveau à faire du geste artistique une extension de la compétence de l’artisan. La rampe en bois de l’escalier située dans le hall d’entrée de la villa fait montre d’une maitrise et d’un respect du matériau. L’artiste est parvenu à donner une impulsion dans la rampe, assimilé à une nature qui se déploie librement vers les élévations de la maison. Les fleurs bourgeonnant sur la tête de la rampe retranscrivent cette nature idéalisée, si chère à l’esthétique de l’Art Nouveau, qui embellit le quotidien.




Dans les hôtels particuliers bruxellois, on retrouve cette même ambition partagée par les artistes nancéiens. On peut découvrir au cœur de l’hôtel Solvay un escalier d’apparat triomphant d’un travail commun du fer, du verre, du bois et du marbre. Les rivets, éléments industriels habituellement dissimulés, sont parfaitement assumés et fleurissent la rampe dans de complexes arabesques dignes d’une plante grimpante. Couvrant cet escalier de marbre, une verrière colorée arbore des motifs organiques. Victor Horta réalise ici un temple de l’Art Nouveau voué au culte des matériaux.



En incitant à une plus grande proximité avec l’art et le beau dans le quotidien, il semble que John Ruskin appelle à un art dont l’expérience que l’on peut en faire ne se limite pas uniquement à la vue. Il envisage un art qui atteint chacun de nos sens par une expérience qui nous lie entièrement avec les créations dans une osmose parfaite. Eugène Vallin et Victor Prouvé collaborent dans la réalisation d’une salle à manger, aujourd'hui exposée dans le Musée de l'Ecole de Nancy. Chacun des éléments constituant la pièce s’intègrent dans un tout organique au point de former un espace qui se caractérise par son unicité. Le buffet reprend les formes des boiseries du mur et du plafond qui s’achèvent dans un luminaire tombant au-dessus de la spacieuse table en bois. Chaque meuble, individuellement, s’intègre dans l’ensemble. Les peintures de Prouvé complètent ce travail. Il s’agit d’une représentation des « cinq sens » sous l'apparence de figures féminines. Les ambitions de l’Art Nouveau à se hisser au rang d’art total prennent toute leur force dans la collaboration des différents domaines artistiques.



De John Ruskin à l’avènement de l’Art Nouveau dans les différents foyers européens, on peut voir que l’idée de former un art qui se fond dans le quotidien s'est affirmée. Lié par une volonté de dépasser la technique et de sublimer les matériaux, l’Art Nouveau a rempli sa mission artistique qui était de créer une relation nouvelle entre l’homme et l’art.


Bibliographie :

Roger Henri Guérrand, L'Art Nouveau en Europe, Edition Perrin, 1965,

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