Un homme de l’ombre, sauveur du patrimoine
Jacques Jaujard est né en 1895 et meurt en 1967 sans avoir vu son action reconnue par ces concitoyens. On le redécouvre aujourd'hui après les films très hollywoodisés sur la spoliation des œuvres privées et publiques, la protection de certaines d’entre elles par les Résistants et la redécouverte de ses œuvres déplacées durant la Seconde Guerre mondiale. On fait intervenir de vrais personnages, dans ces films parfois romancés, qui ont activement participé à cette sauvegarde à l’exemple de Rose Valland dans le film Monuments Men à l’impressionnant casting hollywoodien. Elle met à l’écrit toutes les destinations où sont envoyées les œuvres. Le film est, en soi, largement romancé. En fait, chaque mythe nait d’une réalité. Pour le patrimoine artistique français et son emblématique musée du Louvre, leur sauveur est Jacques Jaujard.
À la libération, il devient Secrétaire Général du ministère des affaires culturelles avec André Malraux, qui le congédie sans élégance quelques années plus tard, les deux hommes se supportant peu. Il meurt en 1967 alors que tous le croient ancien collaborateur du fait de son lien avec le général allemand qui en réalité l’aidait. Désavoué, il ne sera pas remercié à la hauteur de son action, qui est, disons-le héroïque.
Le Louvre avant 1939 : compréhension de la situation politique
Jacques Jaujard est un haut fonctionnaire français de l'administration des beaux-arts. En 1917, il devient journaliste et le reste pendant un moment. Il est ensuite nommé sous-directeur des musées nationaux puis directeur du Louvre. Dès 1938, Jaujard comprend la situation politique de l’Europe et prévoie le désastre. En effet, il ne croit pas aux accords de 1938. Il craint que les heures sombres frappent à la porte de l’histoire, comme s’il avait vu se profiler le destin chaotique de l’Europe des années suivantes. Pour lui, chaque œuvre porte en elle la beauté d’une civilisation dont elle est la mémoire. Chaque œuvre est le témoignage d’un homme, de son génie et de son temps. Or le Louvre en est rempli. Risquer de perdre ce patrimoine, c’est perdre son âme, son identité. En organisant l’évacuation et l’exode de plus de 4 000 oeuvres (dont La Joconde et le Scribe accroupi), ce grand résistant et haut fonctionnaire a déjoué la convoitise d’Hitler et dupé le gouvernement de Vichy, sauvé le patrimoine et protégé des vies. Les nazis ne parviendront pas à mettre la main sur les œuvres convoitées. En effet, le projet d’Hitler en conquérant Paris et la France est de s’emparer de sa richesse artistique pour enrichir le Führermuseum, un autre de ses projets insensés qui consiste en l'édification d'un musée monumental dans sa ville natale de Linz, en Autriche.
Son action de sauvegarde
Avant même la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, le 3 septembre 1939, le Louvre avait est déjà vidé de ses trésors. Ainsi lorsque Jaujard reçoit, le 16 aout 1940 l’officier allemand Franz von Wolff-Metternich, qui s’avèrera être un appui, les œuvres restantes au Louvre sont les copies ou les plâtres.
Le 25 août 1939, Jaujard fait fermer le Louvre. C’est un incroyable déménagement : tout le musée est empaqueté en l’espace de 2 jours. Dans la soirée du 25, près de 800 toiles sont retirées des cadres. Au cours des 2 jours suivants, 200 personnes emballent 4 000 chefs d’œuvre. Il ne s’agit pas uniquement des sculptures ou peintures, le Louvre en entier est déménagé. Près de 200 camions de décors empruntés à la Comédie-Française quittent Paris chargés de leur précieuse cargaison. Il existe des images d’archives de ces trajets avec les œuvres de grands formats telles les Noces de Cana bloquées par les fils électriques. Les conservateurs suivent les œuvres pour veiller sur elles bien que les habitants participent à cet effort.
Après avoir imaginé ce projet monumental, il assure le suivi des œuvres. Elles sont d’abord envoyées au château de Chambord. Puis de là, elles sont dispersées dans des châteaux et abbayes partout dans le Sud-Ouest de la France. Il travaille activement avec Rose Valland qui tient les carnets des destinations de chaque œuvre. Il fait tout cela en allant contre les ordres du régime de Vichy.
Il trouve en la personne du compte Franz Wolff-Metternich un allié inattendu. Cet Allemand est le chef du Kunstschtuz, le service allemand chargé de la « Préservation du patrimoine artistique » à Paris, au profit des nazis. Il ferme les yeux sur les caches organisées par Jaujard. Cela permet de préserver les œuvres d’art de la convoitise des hommes d’Hitler en les déplaçant de château en château pendant 4 ans par sa communication avec Jaujard sur les prochaines fouilles nazies.
Son action de Résistant
Jacques Jaujard s’engage dans la Résistance. Il fait partie du réseau Samson et du NPA (Noyautage Administration Publiques), un groupe de hauts fonctionnaires qui œuvre contre le régime qui les emploie. Il protège des réseaux résistants au sein même du Louvre car il ouvre son appartement du Louvre pour cacher des armes ou des hommes. On dit qu’en 1942, il aurait organisé la cache de Résistants en fuite dans les greniers du Louvre sous le nez des nazis. Il rencontre une figure de la résistance, Jeanne Boitel, célèbre comédienne française engagée, sous le nom de code Mozart. Elle est son agent de liaison avec le reste du réseau de Résistance (il en devient fou amoureux, on tient l’élément romanesque !). Il tente également de sauver des œuvres d’art juives de spoliation et de destruction. Il utilise la voie légale, et on pourrait croire que ces interventions n’étaient pas « résistantes ». Mais le directeur du Louvre s’oppose plusieurs fois au ministre de Vichy, tout en essayant de conserver sa place et travaille de manière légale pour continuer à faire son œuvre sans risquer de se faire démasquer. C'est surtout en protégeant Rose Valland ou ses collègues résistants du Louvre qu'il a pu aider à garder la trace des œuvres volées aux Juifs, pour pouvoir les récupérer ensuite. Grâce aux messages qu’il envoie avant le débarquement, les alliés savent où se trouvent les châteaux occupés par l’armée allemande et ceux occupés par les œuvres d’art et donc à ne pas toucher.
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